Un éboueur s’était suicidé après avoir été licencié : l’entreprise conteste sa condamnation en appel

Un éboueur calvadosien s’était suicidé le vendredi 5 juin 2020, après avoir reçu sa lettre de licenciement. Son employeur lui reprochait d’avoir consommé de l’alcool durant une tournée de ramassage. Faux, a estimé le conseil de prud’hommes, tout en condamnant la société à verser 200 000 € à la famille en mai 2023. Une décision contestée par l’entreprise. Le dossier a été réexaminé par la chambre sociale de la cour d’appel de Caen, ce jeudi 3 octobre 2024.

La chambre sociale de la cour d’appel de Caen rendra sa décision le 12 décembre 2024, dans le dossier qui oppose la Coved à la famille de l’éboueur qui s’était suicidé en juin 2020, après avoir reçu sa lettre de licenciement. Photo d’illustration. | ARCHIVES

Ce décès avait suscité l’émoi, et pas uniquement au sein de la famille, des proches ou des collègues de travail du défunt. Vendredi 5 juin 2020, au petit matin, un homme âgé de 46 ans, employé à la collecte de déchets à la Coved (Collectes valorisation énergie déchets), au Fresne-Camilly, près de Caen (Calvados), avait été retrouvé mort dans son garage. Après avoir revêtu sa tenue professionnelle, il avait mis fin à ses jours avec un fusil de chasse. La lettre l’informant de son licenciement, reçue la veille, avait été retrouvée à proximité de son corps sans vie.

L’employeur condamné à payer 200 000 € en première instance

Dans la foulée, des syndicats avaient rendu l’affaire publique pour dénoncer un suicide directement lié « à l’absence de dialogue social » au sein de l’entreprise. Depuis, la famille de l’éboueur a obtenu gain de cause devant le conseil de prud’hommes. Dans un jugement du 23 mai 2023, la juridiction de première instance a estimé que « le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ».

La Coved avait alors été condamnée à verser près de 200 000 € aux ayants droit. Une décision contestée par l’entreprise. Ce dossier a ainsi été réexaminé devant la chambre sociale de la cour d’appel de Caen, ce jeudi 3 octobre 2024.

Dans quelles circonstances cet événement tragique s’était-il noué ? Ce vendredi 15 mai 2020, le quadragénaire, chauffeur du camion benne, et son collègue, ripeur, effectuent leur tournée de ramassage. Alors que le duo se trouve à Courseulles-sur-Mer, des agents de la commune alertent sur le comportement qualifié « d’anormal » des deux salariés de la Coved. La police municipale intervient. Les fonctionnaires procèdent à un contrôle d’alcoolémie à 13 h 45. Ils auraient alors constaté l’alcoolisation du chauffeur. Mais aucun procès-verbal n’est dressé. Le véhicule est immobilisé.

Aucune preuve d’alcoolémie au-delà de la limite

Prévenue, l’entreprise procède à son tour à un contrôle d’alcoolémie du conducteur de la benne, comme le prévoit le règlement intérieur. À 17 h 15, le taux affiche 0,19 mg par litre d’air expiré (0,38 g par litre de sang). À 18 h 15, ce taux retombe à 0,09 mg par litre d’air expiré (0,18 g par litre de sang). Deux chiffres situés en dessous du seuil légal (0,5 g par litre de sang) au-delà duquel il est interdit de conduire.

Plus tard, le quadragénaire assure « avoir bu deux bières » offertes par un homme, en guise de récompense au sortir du premier confinement durant la pandémie de Covid-19. Rappelons que les éboueurs appartenaient alors aux travailleurs dits « de première ligne ».

Lors de l’audience à la chambre sociale, ce jeudi, Me Julien Duffour, avocat de la Coved, évoque « un drame humain » avant de pointer du doigt « un jugement prud’homal mal motivé, avec des oublis, des incohérences ». « Boire lorsque l’on est chauffeur d’un poids lourd ne constituerait pas un fait qui justifie un licenciement ?, interroge-t-il en s’adressant aux juges. S’il (le chauffeur) était à 0,19 mg par litre d’air expiré à 17 h 15, c’est qu’il était au-delà de la limite à 13 h 35. »

« Le préjudice est énorme »

Pour Me Arnaud Olivier, avocat de la famille du défunt, « il n’a jamais été contrôlé au-dessus de la limite légale. Et je ne pense pas que le règlement intérieur de l’entreprise puisse être plus restrictif que la loi ». Toujours selon Me Olivier, ce licenciement représente « une sanction disproportionnée pour un employé avec vingt-cinq ans d’ancienneté et dont l’entretien annuel est dithyrambique à son égard. Dans une procédure normale, il aurait eu un rappel à l’ordre accompagné d’un suivi. Aujourd’hui, le préjudice est énorme. Son fils ne peut être présent à l’audience tant il est effondré ».

La chambre sociale de la cour d’appel de Caen rendra sa décision le 12 décembre 2024.

Source : www.ouest-france.fr